« La beauté sauvera le monde » !

Dimanches 21 et 28 avril 2024

En ce beau début de printemps 2024, alors que je me rendais dans la basilique Saint-Nicolas, en traversant le parvis depuis la place Royale, j’ai entendu un groupe de visiteurs  sortant du vénérable édifice, s’enthousiasmer, en reprenant cette phrase célèbre de Dostoïevski : « La beauté sauvera le Monde » ! Et je me suis fait cette réflexion : « oui c’est vrai (même si je suis juge et partie), mais de quoi parle t’on » ? Nous sommes face à une de ces citations que l’on met à toutes les sauces sans trop savoir ce qu’elles signifient. Cette phrase on la trouve dans « L’Idiot », un des grands romans de Dostoïevski, publié en 1868.

Ces mots sont prononcés par Hippolyte Terentiev, un jeune homme tuberculeux et révolté. Et celui à qui s’adresse Hippolyte est le prince Mychkine, le héros principal du roman. Il voue un amour pur et respectueux, plein de compassion à la belle et douloureuse Nastassia Filippovna. Épris de la beauté de la jeune femme soumise à la violence et à la domination, il veut la délivrer de sa condition de misère en l’aimant d’un amour gratuit et désintéressé.

Mychkine, « idiot » aux yeux des hommes parce qu’il voit le monde avec un regard d’empathie et d’innocence, a compris que cette beauté est blessée, qu’elle est en attente d’une rédemption, d’un accomplissement. Devant un portrait de Nastassia, Mychkine s’écrie: « Ah, si elle avait de la bonté, tout serait sauvé ! ». Si la célèbre maxime résonne juste en chacun de nous ; c’est parce que nous savons par expérience que ce qui est Beau nous unifie, nous pacifie, nous sauve d’un monde souvent trop violent. L’amour du Beau conduit au ciel, affirme Platon. Non parce qu’il fait oublier la terre et la pénibilité de la vie, mais parce qu’il ouvre les yeux de l’âme à ce qui a de la valeur.

Dès lors, on peut comprendre la phrase de Mychkine, qui est profondément chrétien, comme : « Le Christ sauvera le monde ». C’est lui, le Christ, qui est le Sauveur. C’est lui,
« le plus beau des enfants des hommes » (Ps 44, 3) venu rendre à l’homme sa « première beauté ». Dans le visage de Nastassia, Mychkine voit le Christ souffrant. Le regard qu’il porte sur elle dépasse le sensible pour rejoindre la profondeur, la présence de Dieu.

La philosophe Simone Weil, écrivait : « Dans tout ce qui suscite en nous le sentiment pur et authentique de la beauté, il y a réellement la présence de Dieu. Il y a presque une incarnation de Dieu dans le monde, dont la beauté est le signe ». Benoît XVI précisait : « La beauté – de celle qui se manifeste dans l’univers et dans la nature à celle qui s’exprime à travers les créations artistiques – peut devenir une voie vers le Transcendant, vers le Mystère ultime, vers Dieu, précisément en raison de sa capacité essentielle à ouvrir et élargir les horizons de la conscience humaine, à la renvoyer au-delà d’elle-même, à se pencher sur l’abîme de l’Infini ».

Ainsi comprise la beauté est inséparable de la bonté. La beauté qui sauve est la beauté de Dieu, en qui vérité, bonté et beauté se confondent. Celui qui fait quelque chose de bien, fait en même temps quelque chose de beau : ne dit-on pas d’une bonne action que c’est un « beau geste » ?

Si la beauté doit « sauver le monde », c’est en tant qu’elle tourne le regard vers la Création nouvelle, là où seul le Sauveur peut nous conduire. C’est finalement tout autant la beauté de nos églises que la bonté de la communauté qui s’y rassemble qui manifeste le salut du monde.

P. Loïc Le Huen, curé +