La mort, autant ne pas en parler !

Dimanche 6 novembre 2022

Mercredi dernier, 2 novembre, nous avons commémoré les fidèles défunts. Etrange  célébration que nous propose l’Eglise, presque décalée. En effet, aujourd’hui on vit mieux et tellement plus longtemps qu’on a presque du mal à croire que l’homme est mortel. Pourtant elle est toujours là, l’affreuse mort, mais contrairement à nos anciens elle ne nous est plus aussi familière.

La mort est désormais interdite, on ne doit pas la voir ou en parler. On pourrait éventuellement la donner par compassion ou par amour, nous dit-on, quand la souffrance est trop grande et qu’il n’y a plus rien à vivre qu’une atroce déchéance… Quelle inversion et quel retournement en moins de cinquante ans !

Nous avons désappris à intégrer la mort dans la vie, nous l’ignorons au prix d’un refoulement qui ne dit pas son nom. La mort nous met dans l’embarras, nous ne savons même plus quoi dire, le langage de la mort nous est devenu opaque et inconnu.

Finalement, l’idéal serait de mourir sans s’en apercevoir, sans avoir à l’affronter, sans avoir à prononcer son nom. D’ailleurs on ne dit plus : « Il est mort » mais plutôt, « il nous a quittés ».

Ainsi, la mort est aphone, sans voix et trop souvent sans pardon. A qui viendrait l’idée de prier « pour une bonne mort », de demander « la grâce de la persévérance finale » ? Tout cela nous semble d’un autre temps. On va au cimetière pour la Toussaint, on fait son devoir de mémoire, mais combien savent encore prier pour les morts ?

La mort nous embarrasse et ses rites nous sont étrangers. Pourtant, cette mort que nous n’osons pas nommer, il faudra bien que nous acceptions de la voir en face. Elle n’est pas un problème à résoudre, mais bien un mystère à vivre. C’est pourquoi la mort doit avoir ses rites, une visibilité sociale et familiale qui ne doit pas être escamotée ou diminuée.

Elle est un passage obligé pour entrer dans la Vie. Nous sommes faits pour ce qu’on appelle le Ciel, pour voir Dieu dans la communion des saints et des bienheureux, dans l’exultation des anges.

Alors, méditer sur la mort, la ré-apprivoiser n’est ni nécessairement morbide ni inutile. Nous pouvons faire quelque chose pour nos morts, quelque chose d’inestimable et de puissant : Prier ! Oui, nous pouvons, que dis-je, nous devons prier pour tous ceux qui ne sont pas encore entrés dans la lumière et qui mendient notre intercession et notre amour. On disait autrefois « prier pour les âmes du purgatoire », le mot n’est pas joli et est un peu suranné, certes, mais on n’entre pas dans la maison du Père par effraction, sans purification, sans préparation, ni même seul. Nous vivons les uns pour les autres. Prier chaque jour pour les morts comme le fait l’Église n’est donc pas un exercice facultatif ou inutile. Nous sommes dépendants les uns des autres, les vivants et les morts : invisible communion des saints.

Combien d’entre nous demandent encore à célébrer des messes pour les défunts de leur famille ? Fort peu, car nous avons perdu le sens de la prière d’intercession pour les défunts et la valeur de l’offrande du sacrifice de la messe pour les vivants et pour les morts. Il ne tient qu’à nous de nous ré-approprier la mort et ses rites, de les vivre dans le mystère surnaturel de l’espérance chrétienne, de secouer notre atonie spirituelle.

L’Espérance n’est pas un vain mot, elle est au pied de la croix sous la garde des saints, elle nous est confiée; et s’il est vrai que chaque homme dans sa nuit s’en va vers la lumière, il ne sera pas dit que nous, vivants sur la terre, nous n’y serons pour rien.

P. Loïc Le Huen, curé +