La miséricorde, monnaie d’échange du Royaume
C’est dans un temps marqué par la Guerre de Cent ans que naît et grandit l’héroïne du Mystère de la charité de Jeanne d’Arc (1910) de Charles Péguy.
Jeune fille tentée par la désespérance et qui ne voit d’autre issue que le chacun pour soi pour sauver son âme, Jeannette se voit vivement rétorquer par sa jeune amie Hauviette :
« Il ne faut pas sauver son âme comme on sauve un trésor. II faut donc la sauver comme on perd un trésor. En la dépensant. Il faut se sauver ensemble. Il faut se présenter ensemble. Il ne faut pas arriver trouver le bon Dieu les uns sans les autres. Il faudra revenir tous ensemble dans la maison de notre père. Qu’est-ce qu’il nous dirait si nous arrivions, si nous revenions les uns sans les autres ».
C’est là, je crois, une clef de lecture de l’évangile du gérant malhonnête (Lc 16, 1-13) qui, tous les trois ans, nous plonge dans un profond désarroi lorsque Jésus semble faire l’éloge d’un escroc de première.
Il faut dire que la parabole n’est pas des plus limpides et qu’on se demande bien quelle leçon en tirer ! Elle s’éclaire sans doute si l’on considère le tour de passe-passe du gérant qui, très habilement, renonce à sa commission disproportionnée – empêchant son maître de faire un bénéfice conséquent – pour s’attirer les bonnes grâces de ceux qui, faisant une bonne affaire, jugent au passage que l’homme paraît désintéressé et honnête. Une façon, dit Jésus, de se faire « des amis avec l’argent malhonnête ».
Qu’est-ce à dire ? Sinon qu’il faut savoir renoncer à ce qui parfois nous semble un dû en vue d’être accueilli « dans les demeures éternelles ». Or, pour être du Royaume de Dieu, quelle peut bien être la monnaie d’échange sinon la miséricorde ? Celle dont nous sommes bénéficiaires mais celle aussi que nous manifestons en renonçant à ce qui nous paraît dû : la réparation des offenses que nous avons subies.
C’est à ce prix – parfois bien douloureux quand on sait la difficulté qu’il peut y avoir à pardonner – que nous serons vraiment témoins de cette folle espérance qu’en dépit des conflits qui si souvent nous opposent les uns aux autres ici-bas, c’est bien « tous ensemble » que nous sommes attendus dans la maison du Père. Et que c’est là sa volonté.
C’est ce qu’exprime à merveille la prière de famille qu’est le Notre Père.
P. Sébastien Catrou, curé +
