« Venez, les bénis de mon Père »

Dimanche 22 novembre 2020

En l’espace d’une semaine nous allons vivre le séculaire changement d’année liturgique. En effet, les deux prochains dimanches, 22 et 29 novembre, sont pour l’un l’achèvement et pour l’autre le commencement de la nouvelle année liturgique. Et les antiques antiennes latines vont le scander, nous faisant passer de « Christus Vincit, regnam, imperat » à « Attende Domine » !
La stabilité multi-séculaire de ce passage n’est, malgré les circonstances, pas en danger et quoiqu’il arrive il aura lieu. Car il est vrai que cette année, il nous faut « consentir », pour reprendre l’expression de notre évêque, au fait que ce passage sera vécu dans les conditions que nous connaissons, marquées notamment pas l’absence des messes en présence de l’assemblée.

C’est ainsi que nous allons conclure notre année liturgique par la Fête du Christ, Roi de l’univers pour entrer dans le temps l’Avent. Un dimanche du Christ-Roi qui s’ouvre sur une parole du prophète Ezéchiel qui parle de Dieu comme d’un bon berger qui veille sur les brebis de son troupeau, les menant paître et partant à la recherche de celles qui se sont égarées. Accomplissant les Ecritures, Jésus dira un jour de lui-même: « Je suis le bon Pasteur ». Voilà un « Christ-Roi » dans une royauté bien rassurante ! Mais quel contraste, apparemment, avec l’évangile qui nous présente le Fils de l’Homme assis sur un trône de gloire. Il a devant lui les nations rassemblées, et son premier travail est de séparer les hommes les uns des autres, comme le berger sépare les brebis des boucs.

Voici le doux et humble berger d’Ezéchiel, dans un jugement final tragique, s’apprêtant à couper l’humanité en deux et cela pour toujours. Effrayant ?
Ce n’est pas certain, car c’est bien à une conception nouvelle du jugement que le Christ nous invite ! En s’identifiant aux petits, aux pauvres, aux marginaux, à ceux qui n’ont plus rien pas même la liberté, Jésus ne nous redit-il pas que c’est à travers notre solidarité fraternelle, à travers nos actes, ceux de nos mains, ceux de nos cœurs que nous accomplissons son « règne» ?

Il y a là un appel important pour les catholiques qui souffrent de l’interdiction de l’accès au culte public. En effet, d’aucuns ressentent un sentiment d’injustice devant un « deux poids, deux mesures » : à l’heure où la célébration de la messe avec assemblée est suspendue, les transports en commun, les écoles, et les grandes surfaces sont autorisés à poursuivre leurs activités. Avec le sentiment que le culte public est ravalé au rang des activités jugées « non-essentielles ». Ou encore la conviction qu’une telle mesure attente à une liberté fondamentale. Tout cela a d’ailleurs étayé les recours portés devant le Conseil d’Etat.

Pourtant, il y a aussi de nombreux catholiques qui n’abondent pas en ce sens, considérant comme légitimes les mesures gouvernementales au regard du contexte sanitaire exceptionnel. Or, ces derniers ne pâtissent pas moins que les autres de la suspension du culte public.
Ce malaise commun à tous est à rechercher dans ce qui fait l’essence même du catholicisme. A savoir qu’il n’est pas une foi, mais aussi une religion. La foi étant l’adhésion personnelle à un certain nombre de vérités révélées par Dieu. Tandis que la religion, comme l’indique sa racine latine (le verbe « religare », qui signifie relier), implique, le lien de chacun à Dieu, celui des fidèles entre eux et celui de la communauté à Dieu. On peut donc comprendre que les catholique ne puissent se contenter de vivre « in privatum » leurs convictions, mais qu’au contraire ils aient besoin de le faire en présence de leurs frères.

Ensuite, le catholicisme est focalisé sur le mystère de l’incarnation, et ce contact avec l’incarnation y est vécu charnellement, via les sept sacrements. D’où le caractère vital que revêt la réception de ceux-ci, et plus éminemment l’eucharistie source et sommet de la vie chrétienne.

Alors privée de celle-ci, que reste-t-il dans sa dimension communautaire ? Eh bien, il nous reste cet appel dans l’Evangile de ce dimanche (Mt 25, 31-46) qui nous rappelle la présence de Dieu dans toutes les relations humaines. Présence dont nous devons être les signes et les révélateurs. Nous sommes invités à mettre en lumière par notre vie et par nos actes, une authentique charité.
Car ce Roi que nous croirons voir pour la première fois au moment du jugement final, nous l’aurons croisé depuis longtemps, tout au long de notre vie quotidienne, alors même que nous n’en étions pas conscients. Nous rencontrons le Christ, Roi de l’univers, chaque fois que nous sommes devant notre prochain, et plus particulièrement devant l’un de ces petits dont parle l’évangile ; le jugement et le sort final de chacun se décide, en réalité, dès maintenant.

C’est l’instant présent, dans sa banalité apparente, qui est décisif. Cet instant revêt la gravité infinie de la présence réelle et mystérieuse du Christ-Roi dans le visage de celui qui souffre à côté de nous, même le plus défiguré.
Faisons donc en sorte d’entendre le Christ, Roi d’amour, prononcer sur nous ces paroles: « Venez, les bénis de mon Père, recevez en héritage le Royaume préparé pour vous ».

P. Loïc Le Huen +